Des milliers d’étoiles se transforment en cristal

Une équipe internationale d’astrophysiciens a découvert les premières preuves directes de la solidification en cristal d’étoiles naines blanches, et il y en aurait partout dans le ciel. La recherche, menée par les professeurs Pier-Emmanuel Tremblay de l’Université de Warwick et Gilles Fontaine de l’Université de Montréal, aussi membre du Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ), a été publiée dans la revue Nature et repose en grande partie sur des observations effectuées avec le satellite Gaia de l’Agence Spatiale Européenne.

Interior of White Dwarf V4
Représentation d’artiste de l’intérieur d’une naine blanche (Source : Mark A. Garlick; U. Warwick).

 

Les observations ont révélé que ces étoiles ont un noyau solide, composé d’oxygène et de carbone, en raison d’une transition de phase se produisant au cours de leur évolution, semblable à celle de l’eau qui se transforme en glace, mais à des températures beaucoup plus élevées, ce qui les rend potentiellement plus vieilles de plusieurs milliards d’années.

Les étoiles naines blanches comptent parmi les objets stellaires les plus anciens de l’univers. Elles sont extrêmement utiles pour les astronomes, car leur cycle de vie prévisible leur permet d’être utilisés comme horloges cosmiques afin d’estimer l’âge de groupes d’étoiles voisines avec un degré élevé de précision. Les naines blanches sont les noyaux résiduels d’étoiles mourantes, ayant atteint le stade de géante rouge, et dont les couches externes ont été éjectées. Elles se refroidissent sans fin, car elles libèrent leur chaleur emmagasinée sur une échelle de temps de milliards d’années.

À partir des observations obtenues par le satellite Gaia, les astronomes ont sélectionné 15 000 naines blanches situées à environ 300 années-lumière de la Terre et ont analysé les données relatives à la luminosité et aux couleurs des étoiles.

Ils ont identifié un empilement, un excès du nombre d’étoiles à des couleurs et des luminosités spécifiques qui ne correspondent à aucune masse ni à aucun âge. La comparaison avec les modèles d’évolution d’étoiles montre que l’empilement coïncide fortement avec la phase évolutive au cours de laquelle on prévoit que la chaleur latente est libérée en grande quantité, ralentissant ainsi leur processus de refroidissement. On estime que dans certains cas, ces étoiles ont ralenti leur vieillissement de près de 2 milliards d’années, soit 15% de l’âge de notre galaxie. Selon le Prof Tremblay : « Il s’agit de la première preuve directe que les naines blanches se cristallisent ou, en d’autres mots, passent d’un liquide à un solide. Il y a cinquante ans, les recherches indiquaient que nous devrions observer une accumulation du nombre de naines blanches à certaines luminosités et couleurs en raison de la cristallisation. Ce n’est que maintenant que cela a été observé. » « Toutes les naines blanches se cristallisent à un certain moment de leur évolution, bien que pour les naines blanches plus massives cela se produit plus tôt. Cela signifie que des milliards de naines blanches dans notre galaxie ont déjà terminé le processus et sont essentiellement des sphères de cristal dans le ciel. Le Soleil lui-même deviendra une naine blanche cristalline d’ici 10 milliards d’années. »

La cristallisation est le processus par lequel un matériau atteint l’état solide dans lequel ses atomes forment une structure ordonnée. Sous la pression extrême dans le cœur des naines blanches, les atomes sont si tassés que leurs électrons deviennent libres, créant un gaz électronique conducteur régi par la physique quantique, et des noyaux atomiques chargés positivement sous forme fluide. Lorsque le cœur a refroidi à environ 10 millions de degrés, suffisamment d’énergie a été libérée pour que le fluide commence à se solidifier, formant un cœur métallique entouré d’un manteau riche en carbone. Le Prof Tremblay ajoute : « Non seulement avons-nous des preuves du dégagement de chaleur lors de la solidification, mais nous montrons qu’il faut dégager beaucoup plus d’énergie pour expliquer les observations. Nous pensons que cela est dû à la cristallisation de l’oxygène qui coule ensuite vers le centre de l’étoile, un processus semblable à la sédimentation dans le lit d’une rivière sur la Terre. Le carbone est alors repoussé vers le haut et cette séparation libère de l’énergie gravitationnelle. » « Il s’agit d’un progrès significatif afin d’obtenir des âges précis pour les naines blanches les plus froides et donc pour les vieilles étoiles de la Voie Lactée. Le mérite de cette découverte repose en grande partie sur les observations de Gaia. Grâce à la précision des mesures qu’il peut atteindre, nous pouvons désormais mieux comprendre l’intérieur des naines blanches. Avant Gaia, il n’y avait qu’une centaine de naines blanches pour lesquelles nous disposions de distances et de luminosités suffisamment précises, maintenant nous en avons 200 000. Ce type d’expérience permettant de comprendre la matière ultra-dense est quelque chose qui ne peut tout simplement pas être réalisé dans un laboratoire terrestre. »

Le Prof Pier-Emmanuel Tremblay a obtenu son doctorat en 2011 sous la direction du professeur Pierre Bergeron de l’Université de Montréal, aussi membre du CRAQ. Pierre Bergeron fait partie du groupe de recherche sur les étoiles évoluées co-fondé par le Prof Gilles Fontaine. Détail cocasse, ce dernier fut le premier doctorant du Prof. Hugh M. Van Horn (University of Rochester), celui à l’origine de la prédiction de la cristallisation dans les naines blanches en 1968.

Les résultats de cette recherche, intitulée « Core crystallization and pile-up in the cooling sequence of evolving white dwarfs », paraitront dans la revue Nature (https://www.nature.com/articles/s41586-018-0791-x).

Contact :
Prof Gilles Fontaine
Université de Montréal
Tél : (450) 443-9218
fontaine@astro.umontreal.ca

Source :
Peter Thorley
Press and media relations
University of Warwick
Tél : +44 (0)24 761 50868
peter.thorley@warwick.ac.uk

Robert Lamontagne
Coordonnateur et responsable des relations avec les médias
Centre de recherche en astrophysique du Québec
Tél : (438) 495-3482
lamont@astro.umontreal.ca